Marie-ange

Elle n'avait que 55 ans. Mais, avec son visage buriné par le froid, la cigarette et l'alcool, elle en paraissait vingt de plus. Marie-Ange est morte hier au petit matin sur son bout de trottoir qu'elle ne quittait plus, rue du Palais entre Monoprix et la Pharmacie. C'est là qu'elle a passé les dernières années de sa vie, assise ou couchée, endormie ou éveillée, prostrée le plus souvent. Indélogeable. Elle aurait pu choisir l'abri des arcades, juste un peu plus haut. Mais non, Marie-Ange, la sans-domicile-fixe la plus connue à La Rochelle, était fixée à son coin de vitrine. Toutes les nuits ou presque, le Samu social lui proposait de la prendre en charge.
Toutes les nuits ou presque, elle refusait. « On ne peut décider d'amener manu-militari quelqu'un contre son gré, même pour son bien. La loi est ainsi faite. Et tous les services sociaux qui se sont occupés de Marie-Ange se sont confrontés au même problème : elle voulait vivre dans la rue », explique Jean-Pierre Catala, président de l'Apapar (1) qui gère le Samu social.


Ancienne fonctionnaire du Trésor. « On nous avait alertés il y a une quinzaine de jours de la dégradation de son état. Elle restait toujours allongée. Chaque nuit, on lui donnait une couverture, du bouillon, du café. Notre médecin l'a même auscultée il y a peu de temps. Elle n'était pas plus faible que d'habitude. Mais elle avait vraiment besoin de soins sur le plan sanitaire. Mercredi soir, on est passés la voir à 23 heures. Elle dormait. On l'a couverte. Et ce matin (NDLR : jeudi matin), nos partenaires sociaux de l'Archipel Santé nous ont prévenus de son décès. Je crois que tout le monde a essayé de la sortir de la rue. Mais c'était impossible », poursuit Jean-Pierre Catala.
Qui était donc Marie-Ange dont le triste regard était familier à tous les Rochelais mais que si peu de monde connaissait vraiment ?

« Elle pouvait passer des heures, ainsi, à faire ses mots croisés »

Elle était née le 12 septembre 1952 à Marans, avait occupé un poste de fonctionnaire du Trésor public. Mariée, mère de deux enfants, Marie-Ange a donc mené une vie de famille normale jusqu'à ce que son couple se délite dans la violence et l'alcool. Ce fut là, sa brisure.


Les répits de l'Archipel. « La première fois, qu'elle m'est arrivée, c'était en 1992, raconte Sylviane Dulioust, qui fut la directrice du service des urgences de l'hôpital jusqu'en 2005. Elle n'était pas très loquace, mais j'ai réussi au fil des années à avoir quelques conversations avec elle. Elle avait dû avoir un bon niveau culturel avant de sombrer. Quand on nous l'amenait aux urgences, c'est qu'elle convulsait. Parfois toutes les nuits. On lui avait trouvé un logement il y a quelques années, mais elle a refusé de l'habiter. Quand Archipel Santé a ouvert ses portes, elle a eu des moments de répit. Elle y était accueillie l'hiver, pendant une quinzaine de jours, se requinquait. Puis elle repartait. Elle ne voulait jamais rester nulle part ».


Toujours en situation d'échec. Comme Jean-Pierre Catala à l'Apapar ou Serge Thomas, directeur du foyer des Cordeliers qui l'accueillit également de temps à autre, Sylviane Dulioust regrette de n'avoir jamais pu extraire Marie-Ange de la spirale de l'alcoolisme et de la rue qui l'attirait inexorablement vers une fin fatale. « Je l'ai toujours connue en situation d'échec ».
Sylviane Dulioust se souvient tout de même de l'avoir vue sourire : « C'était il y a un mois et demi à peu près. Je passais rue du Palais, elle m'a appelée pour me demander de lui acheter des mots croisés. J'ai vu son petit ?il bleu briller quand je lui ai ramené sa grille. Elle pouvait passer des heures ainsi, à faire ses mots croisés. Et elle était très douée ».
Hier matin, Marie-Ange ne s'est pas réveillée, rue du Palais. Il ne faisait pas vraiment froid. Elle était plutôt bien couverte. Mais elle ne s'est pas réveillée. Les passants ont pensé qu'elle dormait comme chaque jour. Un peu trop peut-être, car les habitués du quartier ont commencé à s'inquièter. Du moins un peu plus que les autres jours.
On l'avait déjà cru si souvent morte, ces dernières années, alors qu'elle n'était que? mourante.
(1) - Association pour la promotion des actions de prévention


Et c'est encore la pauvreté qui attire les foules... va savoir pourquoi !

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